Les leçons tirées de l’effondrement du pont de Québec
Au début du XXe siècle, le monde de l’ingénierie est secoué par l’effondrement tragique du pont de Québec. Cet événement catastrophique, survenu lors de sa construction en 1907, a entraîné la perte de 76 vies, dont des travailleurs des communautés environnantes et de la communauté mohawk de Kahnawake, près de Montréal. Le pont de Québec, censé être l’une des merveilles d’ingénierie de son époque, a échoué en raison de défauts de conception, d’une surveillance inadéquate et de l’arrogance humaine, soulignant le besoin crucial de normes rigoureuses et de pratiques éthiques en ingénierie.
La naissance d’une vision
Au lendemain de cette catastrophe, un ingénieur minier canadien, inventeur visionnaire et professeur, Herbert Haultain, s’est donné la mission d’empêcher que de telles tragédies ne se reproduisent. Haultain s’est énormément impliqué dans le mouvement visant à réglementer la pratique de l’ingénierie, mais il voulait davantage pour les ingénieurs. Il a imaginé une cérémonie au cours de laquelle les ingénieurs s’engageraient à respecter les normes les plus élevées d’éthique, de compétence et de responsabilité. Il pensait que cela contribuerait à créer un esprit de solidarité entre les ingénieurs.
L’initiation de l’idée
Le 25 janvier 1922, lors de la trente-sixième réunion annuelle de l’Institut canadien des ingénieurs (ICI) à Montréal, le professeur Haultain prononce un discours intitulé “The Romance of Engineering.”. Il a déploré le manque d’esprit unificateur chez les ingénieurs.
Plus tard dans la soirée, lors du dîner du président sortant de l’ICI, Haultain a proposé l’idée de créer un moyen par lequel le jeune ingénieur diplômé pourrait s’engager à respecter des normes éthiques élevées tout en développant une conscience de la profession et de son importance pour la société. Cette proposition a conduit à la formation d’un comité de sept anciens présidents de l’ICI, présidé par John M.R. Fairbairn, ingénieur en chef du Chemin de fer du Canadien Pacifique, pour rédiger un projet de cérémonie.
Le contact avec Kipling
En octobre 1923, Haultain a contacté le célèbre auteur et prix Nobel Rudyard Kipling pour solliciter son aide pour créer une cérémonie. Kipling a répondu positivement, fournissant les textes de l’Engagement et la cérémonie, ainsi qu’une description de l’anneau de fer et comment il devait être porté. Malgré des horaires chargés, le comité a examiné la contribution de Kipling et a apporté de légères modifications, que Kipling a approuvées en avril 1925.
L’importance de l’Engagement
L’Engagement est une promesse solennelle, faite par les ingénieurs, de respecter les normes les plus élevées d’éthique, de compétence et de responsabilité, en veillant à ce que leurs actions contribuent positivement au monde qui les entoure. Il se veut un rappel constant de leurs responsabilités envers la société, leurs collègues et la profession d’ingénieur.
L’anneau de fer et son symbolisme
L’anneau de fer, porté au petit doigt de la main dominante, rappelle l’Engagement. Les anneaux de fer d’origine, fabriqués en fer qui ternissait avec le temps, ont ensuite été remplacés par de l’acier inoxydable. Cependant, la rugosité des anneaux est restée, comme on peut le voir sur les facettes extérieures, symbolisant les défis et l’acquisition de l’expérience auxquels les ingénieurs seraient confrontés dans leur carrière. Kipling a souligné l’importance de cette rugosité, la comparant au caractère brut des jeunes ingénieurs.
Les cérémonies inaugurales
La première cérémonie eut lieu le 25 avril 1925, à Montréal, où six ingénieurs prononcèrent l’Engagement. Une semaine plus tard, 107 nouveaux diplômés en génie de l’Université de Toronto ont participé à une cérémonie similaire. Ces événements ont marqué la formation des deux premières sections chargées d’administrer la cérémonie, Toronto étant désigné comme Section 1et Montréal comme Section 2.
L’évolution de la Société
En 1938, quatre des sept gardiens d’origine étaient décédés. Pour assurer la continuité de la cérémonie, la Corporation of the Seven Wardens a été constituée en vertu de la Loi sur les compagnies du Québec. La Corporation visait à faire progresser la profession d’ingénieur et à réglementer l’utilisation du rituel de l’engagement de l’ingénieur. En 1969, la Société a été incorporée sous régime fédéral et en 1983, elle a été rebaptisée « The Corporation of the Seven Wardens Inc. / Société des sept gardiens inc. »
Les valeurs modernes
Au début de 2022, la Société des sept gardiens a ressenti le besoin de moderniser la cérémonie afin de refléter les valeurs contemporaines et de répondre aux préoccupations concernant l’inclusivité et la pertinence. Un comité d’examen a été formé avec pour mandat « de rendre la cérémonie significative et inclusive pour tous les candidats ». Le comité a demandé aux nouveaux candidats engagés, aux bénévoles des sections et à d’autres intervenants de faire part de leurs commentaires afin de comprendre les principaux enjeux.
Les arguments en faveur du changement
Le processus d’examen a mis en évidence la nécessité de modifier le rituel et l’expérience du candidat. Les commentaires des intervenants indiquent que le rituel n’atteignait pas pleinement son objectif pour une proportion importante de participants. Le comité a examiné diverses options, notamment la poursuite d’une version modifiée, en faisant de nouvelles des améliorations ou le développement d’une cérémonie entièrement modernisée.
La Cérémonie modernisée
Fin 2024, la Société a voté en faveur d’une version révisée de la Cérémonie d’engagement de l’ingénieur. La nouvelle cérémonie conserve des éléments traditionnels, tels que le texte de l’Engagement et la présentation des anneaux de fer, tout en les intégrant dans un récit modernisé qui met l’accent sur les origines et l’histoire de la cérémonie, les valeurs promues et leurs pertinences pour l’ingénierie moderne.
Les contributeurs à la nouvelle cérémonie d’engagement comprenaient un groupe diversifié de voix canadiennes, garantissant que le texte mis à jour reflète l’inclusivité et la diversité de la société contemporaine. Deux nouveaux poèmes ont été obtenus par concours pour compléter la cérémonie, un en anglais et un en français. La cérémonie modernisée sera introduite en 2025, marquant le 100e anniversaire de la cérémonie inaugurale.
Une tradition typiquement canadienne
La Cérémonie de l’engagement de l’ingénieur demeure typiquement canadienne. Au fil des ans, la Société des Sept Gardiens a établi des sections partout au Canada. Chaque section a la responsabilité d’administrer la Cérémonie d’engagement dans sa région, veillant ainsi à ce que la tradition soit maintenue à l’échelle nationale. Aujourd’hui, 28 sections administrent la cérémonie à travers le pays. Plus d’un demi-million d’ingénieurs se sont engagés à respecter des normes éthiques élevées tout en développant une conscience de la profession tel qu’imaginés par Haultain et les sept anciens présidents de l’ICI.
Une tradition canadienne durable
La cérémonie d’engagement, entretenue depuis un siècle par des milliers d’ingénieurs bénévoles, promeut le code d’éthique et l’esprit de corps de la profession. John Fairbairn, qui a occupé le poste de gardien-en-chef de 1925 jusqu’à sa mort en 1954, est un exemple de ce dévouement. La Société des Sept Gardiens honore cet héritage et veille à ce que la tradition perdure pour les générations futures.
Les événements clés de notre histoire sont mis en évidence dans la chronologie ci-dessous à partir de l’effondrement tragique du pont de Québec en 1907.